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Bruxelles, 25/08/2014.
Trois mois que le choc du 25 mai a eu lieu. Trois mois de silence et de réflexion indispensables, tant le choc fut brutal et les résultats, réellement, inattendus.
Trois campagnes électorales (en 2010, 2012 et 2014), un ami disparu et des milliers d'heures de travail plus tard, il est temps de m'arrêter et de faire le point sur ce [projet expérimental riche en émotions fortes]. Je suis à bord du navire depuis juin 2009 et ait consacré chaque journée de ces 5 années à m'investir totalement dans ce projet. Alors, avant de tirer ma révérence et de vous remercier, je voudrais partager quelques éléments de réflexion, évoqués brièvement (et en vrac) dans ce mail et abordés plus en profondeur dans un texte à paraître d'ici la fin de l'année.
1.Le grand vainqueur de ces élections est la peur. Ce sont les partis politiques qui ont manipulés les craintes des électeurs qui ont raflés la mise. La peur du flamand (FDF), la peur de l'étranger (PP), la peur du "bain de sang social" (PS), la peur des dominants (PTB), la peur des dominés (MR), la peur de tout (DLB),...La peur fût déclinée sur tous les tons et sur tous les médias, avec la complicité active et intéressée des médias traditionnels. Le Parti Pirate, comme Ecolo ou Pro-Bruxsel, ont présentés aux électeurs un programme "raisonnable", ou plutôt raisonné : ce que ces trois formations sollicitaient chez le citoyen, c'était sa capacité de réflexion et de jugement, sa faculté d'objectiver la réalité, de la penser et de faire des choix les mieux adaptés. Les Pirates bruxellois avaient fait ce choix de tenir un discours d'espoir, un projet réfléchi, débattu et réalisable. Nous aurions pu choisir de "jouer le jeu" et alimenter et entretenir un état d'inquiétude permanent chez les gens. Et c'eut été bien plus facile : il ne faut pas se forcer beaucoup pour peindre en noir la situation dans notre pays, tant sont grandes l'impéritie de nos gouvernants et les dégradations des conditions de vie de nos concitoyens. Faire peur aurait certes été plus rentable électoralement, mais ce n'était pas ce que nous voulions. Avons-nous été timorés ? Sans doute, mais nous avions fait le choix d'une campagne propre, respectueuse de l'électeur, à la hauteur des enjeux et porteuse de propositions concrètes. Ce choix, je ne le regrette pas : primo, parce que, sans cela, nous n'aurions jamais eu l'audience médiatique que nous avons eu pendant la campagne. Secundo, parce que nous sommes des Pirates, et si c'était pour faire de la politique comme un socialiste, autant le faire chez eux (au moins, ils ont du café à volonté). Et enfin, parce que, pendant la campagne, des citoyens nous ont rejoint grace à notre démarche, sans laquelle ils ne seraient jamais venus. Et puis, pour être honnête, même si nous l'avions voulu, nous n'avions pas les moyens (financiers et médiatiques) de manipuler les émotions de la population.
2.Nous voulions "ouvrir le jeu". Grâce à notre regroupement de listes, quatre députés d'extrême gauche ont fait leur entrée au sein du parlement bruxellois. C'est quelque part une victoire politique, non pas à cause de l'orientation idéologique des quatre nouveaux députés, mais bien parce que ces sièges ont cassé une situation de rente au parlement : le système est si bien verrouillé que les partis subventionnés ont un monopole de fait sur l'offre politique. Ce monopole, nous avons participé à le briser. Quant à ceux qui s'inquiètent et/ou ont peur de l'arrivée de la gauche "radicale" au sein des assemblées du pays, je les rassurerai en deux points. Primo, ces 4 députés PTB sont isolés au sein de l'hémicycle : ils ne forment pas groupe parlementaire (7 députés) et ne dirigent aucune commission. Ce qui me fait dire qu'un seul député Pirate (susceptible, lui, de s'intégrer à un groupe existant) eut été plus efficace que 4 ou même 6 députés PTB. Mais bref. Deuxièmement, le premier vote de ces députés bruxellois peut se résumer dans cette formule triviale : "que d'la gueule". En effet, lors du vote de la validation des élections, ils se sont abstenus (radicalement?), alors qu'ils auraient pu s'opposer à la validation du plus grand scandale électoral de l'histoire du pays.
3.On nous a volé notre défaite :-) A la veille des élections communales d'octobre 2012, le Parti Pirate s'était exprimé sur le vote électronique, en service dans toutes les communes bruxelloises. Lors de la dernière conférence de presse des Pirates bruxellois, en mai dernier, le vote électronique était à nouveau mis en cause. Un atelier avait même été organisé pendant la campagne, durant laquelle l'association PourEva est venu nous exposer les enjeux du vote électronique...Bref, nous criions au loup...et le loup arriva. Le bug informatique des machines à voter nous a privés de chiffres définitifs. La lecture du rapport final fait froid dans le dos. Des voix perdues, d'autres non comptabilisées, d'autres qui se baladent d'un endroit à un autre, une société privée qui fait le contrôle, etc...Ce bug est, selon moi, un événement gravissime aux conséquences aussi lourdes qu'imprévisibles pour la vie en société : c'est un parlement à la légitimité douteuse qui va installer la 6ème réforme de l'Etat et devoir prendre des mesures difficiles dans un contexte social difficile. Et comment à réagi le parti Pirate ?
4.Comme dans toute organisation sociale, on a vu apparaître au sein du parti deux logiques particulières et, il faut le dire, mortifères. A la décharge des pirates belges, ces deux logiques se retrouvent, peu ou prou, dans la plupart des autres partis pirate européens : la bureaucratie et le dogmatisme.
4.1.Une bureaucratie mécaniste. Si, au départ, la Coreteam était constitué des membres les plus actifs, progressivement, et singulièrement à partir de juin 2013, cette instance du parti est devenu l'archétype de la bureaucratie mécaniste. Contrairement à ce qui est écrit dans les statuts du parti, et à l'opposé de l'idée de pouvoir distribué dont ils font la promotion, les Pirates ont cru que la Coreteam était le lieu du pouvoir. En conséquence de quoi, au lieu que chacun assume la part de pouvoir/travail/ennuis qui lui était dévolu, les Pirates ont décidés d'agrandir ce "lieu de pouvoir". Ce faisant, nous avons violé la Loi de Brooks "Ajouter des personnes à un projet en retard accroît son retard". C'est ainsi que de 5 personnes, la Coreteam passa à un aéropage de 12 personnes, dont plus de la moitié était des électrons libres, non intégrés à un équipage, rendant encore plus longue la période de transition. Depuis cette AG de juin 2013, la Coreteam est une instance qui se voit et agit comme si elle était au-dessus des équipages et des Pirates. Voici quelques exemples d'une liste longue comme un jour sans pain :
- Depuis son "élection", la Coreteam n'a pas organisé les AG trimestrielles. Au départ, on pouvait penser que c'était dû à un manque d'organisation. Mais, après relecture des comptes-rendus des réunions de la Coreteam et des AG, il apparait que l'idée d'une AG souveraine, patronne véritable et unique du parti est une idée difficile à faire accepter aux membres du "Board" (comme certains aiment à s'appeller).
- La Coreteam ne s'est jamais expliquée sur son choix d'utiliser les rares ressources du parti pour (essayer d') aller aux élections européennes. Outre le préjugé infantile que "on a plus rien à dire, c'est au niveau de l'Europe que tout se joue", il y a eu aussi, à mon sens, l'influence du staff des parlementaires européens de Suède, qui a utilisé le parti comme les figurants de leur propre campagne électorale.
- La Coreteam ne s'est pas concertée avec les différents équipages pour définir une stratégie et un programme, alors même qu'à Liège et à La Louvière, une base de travail existait, produite par les Pirates eux-mêmes. En lieu et place, la Coreteam a demandé que les Pirates défendent un programme européen écrit par d'autres.
- La Coreteam, en choisissant de finalement (nous sommes à la fin mars) participer aux autres scrutins, régionaux et fédraux, sans y avoir travaillé s'est moqué des électeurs, en venant à leurs contacts avec moins et pire qu'un programme : avec des certitudes inébranlables, catégorique, sentencieuse, autoritaire et intransigeante, basés sur des a-priori partiaux, sortis de leur contexte global.
- La Coreteam n'a pas initié l'ombre d'un début de réflexion sur ce qui s'est passé. A l'exception notable de l'article de Jonas, la Coreteam se révèle incapable de penser notre défaite. Défaite qui, je dois le rappeler, touche tous les autres partis pirate d'Europe. Sur quoi portait les échanges de mail au lendemain des élections ? Trouver une façon d'exclure un membre.
- La Coreteam, tout en ne produisant rien, réussit le tour de force de dire à des graphistes comment faire des flyers, à des juristes ce qu'est le droit, à des politologues ce qu'est une stratégie électorale, à des journalistes comment faire un reportage, à des développeurs web comment faire un site,...
- Mais le pire, selon moi, ce qui décrédibilise la Coreteam, ses membres, et en fait tout le parti, et ce qui a arrêter ma décision d'arrêter, c'est sa réaction face au scandale du bug des élections. Ne fut-ce que par respect des 16 candidats qui se sont présentés à Bruxelles ; par respect de cette flotte qui a toujours privilégié les moyens aux fins, qui a travaillé d'arrache-pied pour produire une stratégie, un programme et une liste, qui a obtenu une certaine visibilité médiatique qui a profité aux Wallons comme aux Flamands ; par sens du devoir et du combat ; par amour de la démocratie et de ses valeurs, il fallait réagir, faire quelque chose, non pas pour contester le résultat (on a perdu, c'est clair) mais parce que ce nous disons depuis cinq ans, c'est justement ça, que la manière, la méthode compte plus que tout. Non, la Coreteam n'a pas réagi. Pire, elle a pris la décision, sans en avertir les bruxellois (ni personne d'autre d'ailleurs), de ne pas participer à une plainte avec constitution de partie civile contre ce hold-up électoral (plainte dont je ne juge pas du bienfondé : je dénie à la Coreteam le droit de s'exprimer dessus, encore plus venant de gens qui n'ont pas fait campagne, et qui n'appartiennent à aucun équipage).
4.2.L'autre maladie est le dogmatisme, déjà évoqué plus haut et défini par Wikipedia comme "une attitude intellectuelle basée sur des certitudes inébranlables et consistant à rejeter le doute ou la critique. De même, il désigne le comportement d'une personne qui parle de manière catégorique et sentencieuse ou qui affirme avec autorité et intransigeance. Dans ce genre de situation, on note toutefois fréquemment la fausseté du jugement, une absence d'autocritique, un raisonnement se voulant logique mais s'appuyant sur des a prioris partiaux, sortis de leur contexte global."
- Dogme de la bureaucratie et de l'organisation : "nous sommes mal organisés", voilà la brillante conclusion à laquelle la Coreteam est arrivée. Ce n'est pas le projet ou les propos tenus par les Pirates qui peuvent expliquer la défaite, non, c'est le manque d'organisation. Certes, nous avions le plus petit budget des listes présentes à Bruxelles. Et certes, nous sommes mal organisés. Mais - et c'est un paradoxe savoureux pour une Coreteam qui n'a eu de cesse à nous survendre un projet "international" - les Pirates se sont viandés dans toute l'Europe. Les suédois ont perdus leurs deux sièges et les Allemands n'ont eu qu'un élu, malgré l'absence de seuil d'éligibilité. Dans ces deux pays, les moyens humains et financiers, l'infrastructure organisationnelle, les relais dans les médias, n'ont aucune commune mesure avec ce que nous connaissons en Belgique ou ailleurs en Europe. Ils avaient des hommes, de l'argent, et une organisation quasi-militaire et ils ont fait les mêmes scores que nous. Alors quoi ?
- Dogme de l'opinion individuelle : "mon opinion vaut ton opinion". C'est là une erreur fatale dont j'assume ma part de responsabilité : trop concentré à vouloir donner la parole à chacun, j'ai/nous avons oublié qu'une opinion se forge, qu'elle se construit sur une base objective. Au lieu de cela, nous avons construit nos décisions collectives sur base, non d'opinions forgées, mais d'a-priori débiles, de raisonnements fallacieux, de propos péremptoires. Accumuler des opinions puis passer au vote, voilà ce que nous faisons. Alors certes, l'individu gagne un sentiment d'écoute, mais le collectif perd en pertinence et en justesse. Si certains pensent que le projet Pirate est le lieu de l'épanouissement personnel, du développement des compétences ou de je ne sais quel égo-trip, ce n'est pas mon cas.
- Dogme de l'altermondialiste : "la politique c'est mal". C'est là le centre de la thèse de sociologie sur laquelle je travaille depuis l'été 2011 : la limite du projet pirate, comme de tous ceux qui "veulent changer le monde" réside dans leur aversion, leur rejet de la logique d'action politique. Des centaines de mails, de messages, de procès-verbaux de réunions et de décisions attestent que les Pirates européens se défient de la politique. Ce sont des schizophrènes, dégoutés de l'action politique et de sa logique mais qui veulent se présenter aux élections. Qui veulent bien faire de la politique à condition que ce ne soit pas de la politique. Le tout, en ne connaissant absolument rien des mécanismes, des règles et des acteurs de la pièce dans laquelle ils ne veulent pas jouer. C'est la limite des Pirates, comme celle de toutes les forces de progrès des sociétés occidentales. En ce sens, et pour être encore une fois trivial, Reagan, avec sa formule "c'est le gouvernement le problème" nous l'a bien mis dans le cul.
5. En conséquence de ce qui précède et parce que, pour moi, le projet Pirate tel que lancé avec Jurgen et Monika touche à sa fin, je vous fais savoir mon retrait du parti Pirate de Belgique. Je n'y serai plus actif et ne cautionnerai plus, ni n'assumerai les (non-)décisions prises par une Coreteam dogmatique et bureaucrate. Le Parti Pirate, non, le projet Pirate doit être remis en cause : ses idées, ses méthodes, ses discours et même ses membres doivent être interrogés. Faute de quoi, le projet va mourir à petit feu, dans l'indifférence générale.
6. Ce sombre tableau pue l'échec insurmontable. Et c'est normal après une dégelée pareille. Mais nous ne devons pas oublier les succès de cette aventure :
- créer un parti politique de toutes pièces
- exister (relativement) sur l'échiquier politique
- participer à trois élections successives
- produire un outil de démocratie liquide belgo-belge (Getop)
- une organisation qui a inspirée d'autres partis européens (notamment les AG trimestrielles)
- des statuts - une structure et des valeurs communes - fabriquées de toutes pièces, avec une dynamique de groupe innovante (cfr les AG statutaires)
- différentes façons de rédiger collectivement un programme électoral
- et puis, surtout, et de çaon indubitable, nos idées se sont diffusées à travers la société.
7.Merci à l'équipe de campagne de la flotte bruxelloise : ce fut un honneur et une belle rigolade de travailler avec vous. Merci à mes colistiers : votre engagement, même tardif, était inspirant et plein d'espoir pour la suite. Merci aux Pirates (et aux autres) venus mettre la main à la patte, entre juin 2013 et mai 2014, dans l'élaboration de notre programme et la réalisation de la campagne : votre apport, si ponctuel fut-il, a été décisif. Merci aux innombrables personnes rencontrées durant ces 5 années : chacune d'elles m'aura appris quelque chose. Et au final, je souhaite bon vent à ceux qui continuent, en espérant que ces quelques éléments de réflexion pourront être utiles.
So long and thank you for all the fish.
marouan